Mon service en tant que Volontaire de l’ONU est l’une des expériences les plus précieuses de toute ma vie et, étant donné que j’ai plus de 80 ans, je pense que cela est significatif. Au début des années 1990, après avoir fondé une famille, atteint la fin de ma carrière dans les affaires et débuté ma retraite, l’excitation et l’humilité que représente la perspective d’aider les autres m’ont prouvé que la vie peut toujours nous surprendre.
Lors d’une réunion entre des dirigeants du HCR et des associés, j’ai participé à une conversation qui m’a mené jusqu’au programme VNU.
Dès 1992, la fédération de Yougoslavie s’effondrait. La guerre en Croatie avait entraîné le déplacement de centaines de milliers de réfugiés, et avait ravivé les souvenirs de la brutalité des années 1940. La souffrance de la population, la perte de leur vie et de leur maison étaient très vite passées de la une des journaux américains à une note de bas de page. Cela me mettait en colère, et j’ai demandé à mes contacts au HCR s’il m’était possible de faire quelque chose.
Le HCR cherchait en effet des volontaires, par le biais du programme VNU, pour seconder les efforts de rapatriement en Croatie. Lorsque j’ai entendu parler de cette opportunité, je n’ai pas hésité : je suis devenu volontaire.
Je suis arrivé à Zagreb, depuis Chicago avec une escale à Francfort, le 8 avril 1999. Les bombardiers alliés volaient toujours au-dessus du Kosovo et la vie quotidienne était très tendue dans cette région, où que l’on se trouve. Je suis arrivé avec cinq heures de retard, et ai reçu un exposé détaillé sur la sécurité avant d’être déployé en voiture, pour un voyage de quatre heures dans la montagne entre Zagreb et Kamenica (à la frontière avec la Bosnie), pour finir à Knin.
Knin, située au Nord de la Croatie, est une ville importante de la région Krajina et était à l’origine peuplée à 80% par des Serbes. Pendant la guerre, l’armée populaire serbe a éliminé les Croates catholiques (sur une période de trois à cinq ans) de la communauté, puis l’armée croate a fait de même avec la majorité des Serbes. Tout cela représentait près de 250 000 personnes.
À partir de 1990, Knin était devenue le bastion des Serbes, jusqu’à ce que les forces croates ne la gagnent lors de l’Opération Tempête, en octobre 1995. Cette Opération est devenue la plus grande bataille terrestre depuis la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’une victoire décisive pour l’armée croate.
Alors que je voyageais dans des villages où les maisons n’avaient plus de toits ou de portes, et où les rues et les cours de récréations étaient vides, je me suis rendu compte que je n’avais pas compris l’ampleur de la situation.
Les Américains faisant pression pour mettre un terme à cette guerre, les Accords de Dayton ont été signés en novembre 1995. Cela a entraîné la création d’entités autonomes dans la région, notamment la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie et la Croatie. Les Accords ont mis fin à la confrontation militaire et avaient pour but de promouvoir la paix et la stabilité dans la région, et dans l’ex-Yougoslavie.
Un accord de paix pour mettre en œuvre les Accords de Dayton signifiait un engagement à faire revenir les réfugiés chez eux après les hostilités.
Le volontariat est ce que vous, en tant que personne, en faites.
En arrivant à Knin, deux assistants m’ont aidé à trouver un logement, puis je suis retourné au bureau pour me présenter au directeur local, un homme venant de Bavière, et me porter volontaire pour tout travail nécessitant ma contribution.
Pendant les premières semaines, le personnel de l’ONU et moi-même nous sommes partagés les tâches pour rassembler du matériel. Rapidement, il est devenu clair que nous devions être plus efficaces dans le transport des réfugiés entre la frontière bosniaque, Knin et ses alentours, si nous voulions honorer notre promesse de rapatriement.
Trois à quatre nuits par semaine, nous nous rendions à la frontière bosniaque pour rapatrier des résidents de la région de Knin, qui avaient vécu dans des camps de réfugiés en Serbie pendant trois à cinq ans. Nous ne savions jamais ce qui allait se passer pendant ces nuits. Beaucoup de personnes découvraient leur ancienne maison pour la première fois et ne reconnaissaient pas le lieu où elles avaient grandi ou construit leur vie avant la guerre, à cause de l’occupation et/ou des destructions.
Nous avons reçu l’assistance des escortes de police ainsi que l’expertise incessante des professionnels du HCR. Je les admirerai toujours. Le fait de ramener ces personnes « à la maison » est devenu une action de volontariat majeure envers la communauté.
J’ai tant d’histoires, tant de visages de ces personnes déplacées gravés dans mon esprit. Une nuit de mai, en particulier, se démarque des autres : nous étions partis retrouver 40 personnes pour les ramener à Knin, avec l’escorte policière, au milieu de la nuit. Tous les passagers avaient été déposés, à part une vieille dame avec près de 15 kilos de bagages.
Elle ne reconnaissait pas sa maison et nous avons roulé pendant des heures pour la retrouver. Après que la police ait cessé de nous escorter, les Volontaires de l’ONU et notre chauffeur avons continué à écumer les rues avec cette femme. Nous sommes arrivés à un petit chemin de terre, au bout duquel il n’y avait aucune lumière. Les phares nous ont aidé à déterminer la forme de ce qui ressemblait à une petite ferme sans fenêtres ni portes. La femme insistait sur le fait que c’était sa maison, et elle a sauté de la voiture pour se « réinstaller ». Je craignais de la laisser là, mais elle insistait.
Quelques jours plus tard, le chauffeur et moi-même sommes retournés au même endroit pour livrer une cuisinière, et pour prendre des nouvelles de cette femme. A mon plus grand soulagement, elle est sortie de sa petite maison en souriant, suivie par deux générations de sa famille.
Comment l’avaient-ils retrouvé ? Comment arrivaient-ils à vivre ? Heureux de s’être retrouvés, ils parvenaient à oublier la catastrophe autour d’eux.
On est chez soi là où le cœur s’attache, et Knin sera toujours dans mon cœur.
Note : John Leslie, Volontaire de l’ONU auprès du HCR, a servi à Knin, Croatie, en 1999.